auteur: Bruno Cargnelli pour le magazine artist’info
Georges Pascal Ricordeau
Le jeu de la vérité
Article de Bruno Cargnelli initialement paru dans le magazine artist’info en avril 2006
« Nous sommes passés de la standardisation des temps modernes à la synchronisation de l’ère du virtuel. La diffusion technologique a bouleversé notre univers et notre façon de percevoir le monde. Ce qui était très éloigné de nous il y a quelques années nous touche désormais directement par media interposés. J’ai l’impression que nous le subissons et que cela s’impose à nous sans que nous ayons eu le temps de réaliser ce qui nous arrivait. Ce n’est pas un jugement – d’ailleurs je ne pense pas que porter un jugement soit le rôle d’un artiste. C’est un simple constat, mais il pose la question de l’indifférenciation : Sommes-nous vraiment obligés de vibrer ainsi, tous ensemble au rythme effréné qui nous est imposé. Quelqu’un l’a-t-il décidé ? Pouvons-nous y échapper ? Je suis dubitatif. »
Le constat de Georges-Pascal Ricordeau est clair, empreint de cette lucidité lumineuse qu’apporte une grande sensibilité. Et il est sans doute un peu terrifiant pour qui prend le temps d’y réfléchir vraiment. Certains ne se posent tout simplement pas la question. D’autres se réfugient dans le divertissement Pascalien. Et la plupart d’entre nous en souffrent, sans comprendre le phénomène, ou en le ressentant, mais en refusant de pousser cette perception jusqu’au bout. Georges-Pascal Ricordeau n’est pas de ceux-là.
Pour lui, être artiste n’est certainement pas un problème de statut social. Encore moins un problème d’ego. C’est la volonté d’exister à tout prix. Cela ne s’explique pas vraiement. C’est une quête. Et c’est en tout cas la seule manière de vivre qu’il connaisse.
« Tous les artistes subissent leur époque, ajoute-t-il. Ce n’est pas nouveau. Mais j’ai vraiment l’impression que ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est l’idée même de l’Homme. » Alors, comment sortir de la boucle ?
Longtemps il a cherché. Il s’est parfois perdu, a failli se résigner, abandonner. Mais il y avait des gens autour de lui. « Des gens qui ne font pas semblant, qui ont compris que dans notre univers en agitation frénétique, les mots n’ont pas le même sens pour tout le monde. Les discours trouvent instantanément leurs limites et les arts se dissolvent. » Alors comment faire pour que la vie ne soit pas une simple soumission au principe d’entropie ?
« Depuis mon enfance, j’ai toujours fait confiance aux œuvres des autres artistes comme source de vérité. ». La théorie ménétique, qui tente d’approcher les coïncidences auxquelles nous sommes confrontés individuellement et collectivement – comme par exemple le fait qu’une fille accouchera exactement au même âge que sa mère – l’interroge et l’intéresse particulièrement en tant qu’artiste. « Je suis convaincu que des choses passent à travers chacun de nous, qu’aucune œuvre, même la plus méprisée, n’est stérile. À partir du moment où un individu produit quelque chose en assumant sa position d’artiste, sa “prétention“, il est pour moi forcément dans un cheminement intéressant. On peut toujours trouver quelque chose dans un tableau, même dans ceux que l’on qualifie de croûte. »
L’art salvateur ? « Ne me prenez pas pour un mystique égaré ! tient à préciser Georges-Pascal Ricordeau. J’ai eu besoin de prendre du recul par rapport à notre réalité trépidante, de faire confiance au regard plus qu’aux mots. Les yeux sont peut-être l’ultime manière de toucher, de faire passer une émotion, d’avancer sans masque. L’exposition que je présente à Paris à l’espace d’art contemporain est le fruit de cette réflexion et de sept ans de travail. Plus le temps passe , plus je fais confiance aux œuvres. Comme pour l’exposition récente qui m’a été consacrée à Lille, je ne me suis pas occupé de l’accrochage. Le travail, je le fais à l’atelier. Ensuite, je confie le choix des œuvres et la scénographie à une personne de confiance. Je ne m’occupe pas de communication. Je voudrais que tout se fasse tout seul. J’espère que cela se voit dans l’exposition. »
Ses œuvres, justement, comme un écho à notre monde hyper-technologique, sont basées sur un procédé d’une extrême simplicité. « À force de chercher, c’est un geste ancestral qui s’est imposé à moi comme une évidence : celui de tresser. J’ai passé près d’un an à tresser des sacs de plastique blanc dans mon atelier. Deux brins ne donnent rien, trois permettent de faire émerger une forme. Cette simplicité me convient parfaitement. Parce qu’ayant connu une grande précarité, j’étais à la recherche d’un moyen de faire une œuvre à partir d’un matériau facilement disponible – et gratuit – sans avoir besoin d’atelier ni de logistique particulière. Et par rapport à l’art contemporain, dans lequel je me suis profondément investi intellectuellement et physiquement pendant des années, 24 heures sur 24, j’avais également besoin de prendre du recul. Avec le sentiment que l’intellectualisme avait ses limites, et que beaucoup de théories échafaudées vieillissaient mal. Avec mes tressses, j’ai par exemple participé à une performance en mer de Chine. Les trois pêcheurs qui conduisaient la barque sur laquelle j’avais pris place m’ont chacun demandé un bout de tresse en souvenir, alors que nous retournions vers le rivage. Ce fut un moment magique. C’est pour ça que je fais tout ça. » Depuis les premières tresses entièrement blanches, le travail de Georges-Pascal Ricordeau a évolué. Il colonise les espaces et les esprits. « Comme un virus », conclut-il en souriant. Le geste simple, universel, immédiatement compris de tous, rejoint ainsi l’un des plus primitifs – et des plus résistants – des organismes vivants. La vérité est toujours d’une simplicité extrême : nous l’avions sous les yeux depuis toujours. Georges-Pascal Ricordeau l’a trouvée parce qu’il a accepté le jeu exigeant qu’elle impose. Allez voir l’exposition. Laissez-vous contaminer !
Georges-Pascal Ricordeau
Tresse et virus
Exposition du 4 au 30 avril 2006
Espace d’art Contemporain
55 rue Montparnasse
75014 Paris
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